
14.09.2025 | Grand art en photographie
Symbolisme, ésotérisme, occultisme (1860 – 1918) La photographie à l'époque Art nouveau
Une exposition réalisée en collaboration avec la Maison Hannon
L'invention de la photographie n'a jamais été purement technique ; dès ses débuts, elle a été intimement liée à la connaissance, à la révélation et à la transformation. Au XIIIe siècle, Albert le Grand remarqua que son lapis lunaris – un cristal de nitrate d'argent – noircissait à la lumière du soleil et le nota parmi ses observations sur les bézoards et les mandragores. En 1614, Angelo Sala saupoudra du papier de nitrate d'argent et le vit « devenir noir comme de l'encre ». Pour ces alchimistes, ce noircissement prouvait la virtus solis, une force solaire immatérielle capable de réorganiser la matière.
Dans les années 1720, Johann Heinrich Schulze mena des expériences décisives : à l’aide d’une suspension de nitrate d’argent et de craie, il démontra que c’était la lumière, et non la chaleur, qui provoquait l’obscurcissement. Schulze interprétait encore ces résultats dans le cadre de la philosophie occulte. Ainsi, lorsque Daguerre et Talbot industrialisèrent la photographie un siècle plus tard, le public était prêt à considérer les images photosensibles comme des messages mystérieux ou prophétiques, proches des oracles antiques.
Rose + Croix et le rejet de la photographie
En 1892, l'écrivain ésotérique Joséphin Péladan fonde les Salons Rose + Croix pour promouvoir l'art symbolique et mystique. Le règlement de ces six salons (1892-1897) exclut la photographie ; seules les images documentaires, destinées au jury, sont autorisées. La doctrine exige que « la forme soit dématérialisée pour que l'idée puisse rayonner » ; pour Péladan, l'appareil photo reste un outil matérialiste.
Le Photo-Club de Paris : élever la photographie au rang d'art
Dans ce climat symboliste, mais sans se revendiquer officiellement comme un « contre-salon », Constant Puyo, Robert Demachy, Maurice Bucquet et René Le Bègue fondent le Photo-Club de Paris en 1888. Sa première exposition d'art photographique ouvre ses portes en janvier 1894 à la galerie Georges Petit, pendant le cycle Rose + Croix. Leur objectif : faire reconnaître la photographie comme un art, en soumettant des tirages à des jurys d'artistes et à des inspecteurs des Beaux-Arts.
Ni Puyo ni Demachy ne sont mentionnés comme membres de la Société Théosophique ; les idées théosophiques – corps subtils, auras, vibrations – circulaient largement dans les cercles symbolistes. Leur esthétique résonnait avec ces notions : impressions à la gomme bichromatée, huiles pigmentées multicouches, ponçage, rinçage et recoloration des contours effacés pour suggérer des espaces mentaux ou astraux. Les critiques ultérieurs ont associé leurs flous pictorialistes aux corps subtils d’Helena Blavatsky, bien que Demachy lui-même n’ait jamais utilisé cette terminologie.
Les palladiotypes veloutés d'Eugène Arnaud offraient une dissolution homogène du grain, rappelant la prima materia alchimique de Péladan lorsqu'il comparait les couches d'halogénures à une substance en attente d'esprit.
Odilon Redon et l'influence symboliste
Le peintre et lithographe Odilon Redon a exploré la lumière et l'ombre avant les photogrammes de Moholy-Nagy ; ses formes oniriques et ses visages fermés ont influencé les photographes symbolistes, qui ont fait passer l'appareil photo de la documentation à l'expression psychique.
La Photo-Sécession et son « équivalent » américain
Aux États-Unis, Photo-Secession (1902) d'Alfred Stieglitz poursuit cette trajectoire : Camera Work et les Little Galleries promeuvent les gommes de Gertrude Käsebier, les platines d'Edward Steichen et les études atmosphériques de Clarence H. White comme des « équivalents » d'états intérieurs. L'image argentique devient un creuset alchimique où la matière absorbe l'émotion.
Le regard des femmes et la reconfiguration des rôles
Des femmes photographes comme Julia Margaret Cameron (active de 1864 à 1879) et Frances Benjamin Johnston (années 1890 à 1920) ont remis en question les représentations conventionnelles de la féminité. Cameron a combiné flou pictorialiste et symbolisme préraphaélite pour élever ses modèles au rang de sibylles ou de saintes visionnaires ; Johnston, figure de la Nouvelle Femme américaine, a photographié des étudiantes, des athlètes et des réformatrices, affirmant ainsi leur autonomie intellectuelle et professionnelle. Cela a ouvert la voie à Käsebier et Anne Brigman, dont la pratique, imprégnée de théosophie, a fusionné quête spirituelle et affirmation de soi. La surface photosensible est devenue un espace où les rôles et les pouvoirs des femmes ont été reconfigurés, aux côtés de la lumière et de la matière.
Photographie spirituelle : de Hudson à Coates
L'intérêt pour l'invisible est antérieur à la Rose et Croix. Dans les années 1870, le Londonien Frederick Hudson réalisa les premières cartes de visite photographiques d'esprits en Grande-Bretagne, montrant des modèles vivants à côté de formes vaporeuses créées par double exposition, mais considérées comme authentiques par des spiritualistes comme Alfred Russel Wallace. Aux États-Unis, William H. Mumler popularisa ces images dans les années 1860 ; en Angleterre, William Hope et son Cercle de Crewe les relancèrent vers 1900.
Le manuel de référence de la discipline, Photographing the Invisible de James Coates (1911), détaillait la chimie, l'éclairage et les postures « favorables » à la matérialisation, défendait la plaque comme un « miroir astral » et inscrivait l'appareil photo dans la tradition médiumnique.
Modernités occultes et technologies émergentes
Le cinéma expressionniste allemand (Le Cabinet du docteur Caligari, Nosferatu) créait un clair-obscur anxieux pour visualiser le tourment intérieur ; dans les années 1960, les couronnes électriques Kirlian transformaient les halos fluides de Péladan en décharges spectrales. Les artistes conceptuels mélangeaient rayons X, oscillogrammes et infrarouges pour redéfinir la preuve.
Aujourd'hui, l'IA générative remplace les grains d'argent par des pixels probabilistes ; pourtant, l'analogie alchimique persiste : un champ invisible, saturé de potentiel, est révélé par un processus – ici l'optimisation d'un réseau neuronal – apparenté à la transmutation. Halos laiteux, superpositions spectrales, clairs-obscurs oniriques réapparaissent spontanément ; on parle de « lueur éthérée » et d'« aura symboliste ». Les photos d'esprit du passé et les composites d'IA d'aujourd'hui brouillent les frontières entre preuve, apparition et fiction, privilégiant la cohérence psychique au réalisme optique.
Conclusion
En mettant en résonance la philosophie Rose + Croix de Péladan, la vision onirique de Redon, le pictorialisme du Photo-Club, la Photo-Sécession et la photographie spirituelle de Hudson à Coates, l'exposition montre que la photographie a toujours été un lieu de rencontre entre chimie, métaphysique et imagination. Qu'il s'agisse d'un cristal noirci décrit par Albert le Grand ou d'un portrait généré par Diffusion Stable, chaque image agit comme une tablette alchimique : elle fixe un fragment éphémère d'espace-temps et invite le spectateur à sa propre transmutation interprétative.
Toutes les impressions produites chez TinyGallery avec des procédés historiques sont de nouvelles interprétations des œuvres originales.
Reproductions historiques
Créé sur papier salé, gomme bichromatée et procédés brun Van Dyke, et complété par des images croisées provenant des archives des institutions suivantes :
Société Française de Photographie
Musée de la Photographie (Charleroi) Musée de la Vie Wallonne Province de Liège Musée de la Mine et du Développement Durable (Bois-du-Luc) Tiny Gallery (Bruxelles) Maison de la Métallurgie et de l'Industrie (Liège) Archives et Musée de la Littérature (Bruxelles) Service Général du Patrimoine de la Fédération Wallonie-Bruxelles - Patrimoine numérisé